Après une période
très Lamarckienne, les idées de Darwin
revinrent au devant de la scène au XXe. Ainsi comme il est admis
communément, les espèces évoluent graduellement,
sans but. Progressivement diverses transformations apparaissent, une
espèce découle d'autres espèces généalogiquement,
dans cette diversité aléatoire seuls les individus les
mieux adaptés subsistent. Au XXe siècle, la théorie
de Darwin a été reformulée sur la base des nouvelles
connaissances acquises, et a pris le nom de "théorie néodarwinienne".
Les nouvelles connaissances en question ont surtout porté sur
les lois de l'hérédité, mais aussi sur les découvertes
paléontologiques effectuées depuis le XIXe siècle.
Une évolution
pas si graduelle que ça ?
Mais cette théorie
ne permet pas de tout expliquer pour Steven
Jay Gould et Nils Eldredge qui,en cherchant à comprendre
certaines observations, vont aller à l'encontre de l'idée
de gradualisme de Darwin et créer la théorie "des
équilibres ponctués" en 1972.
Selon cette théorie, l'évolution procéderait de
manière non continue avec de longues périodes de stases
évolutives entrecoupées par de brusques et courts évènements
de spéciation. Cette théorie est basée sur l'interprétation
des changements morphologiques survenus dans des collections de fossiles
d'organismes marins. Gould et Eldredge ont constaté que des espèces
fossiles variaient très peu morphologiquement au cours de leur
existence qui durait plusieurs millions d'années. Ensuite, une
nouvelle espèce morpholiquement bien différenciée
la supplantait subitement (en quelques dizaines de milliers d'années
tout de même) et l'on n'observait pas de formes intermédiaires.
Cette absence de formes intermédiaires est vraisemblablement
dues au faible effectif des populations intermédiaires qui n'ont
pas laissé de traces fossiles. Ces alternances de stabilités
et de discontinuités, baptisées "équilibres ponctués",
fournissent une explication aux tendances évolutives qui se manifestent
dans l'histoire des fossiles.
L'origine géologiquement
"soudaine" des espèces nouvelles, associée à leur
stabilité par la suite, constitue un indice sur la nature du
principe évolutif et non des manques dans la continuité
des traces fossiles. Selon la plupart des thèses actuelles, les
nouvelles espèces proviennent de petites populations isolées
dont la spéciation s'étale ensuite sur des milliers d'années.
A notre échelle, cette durée semble extrêmement
longue, mais elle est courte lorsqu'elle est ramenée à
l'échelle géologique. En outre, il ne faut pas s'attendre
à des changements spectaculaires au sein d'espèces largement
répandues. Cette inertie des populations établies explique
la stase de la plupart des espèces fossiles pendant plusieurs
millions d'années. Par conséquent, selon Gould, l'évolution
des êtres vivants ne peut être attribuée à
une transformation graduelle mais découle de la réussite
différentielle de certaines espèces. L'évolution
ressemble alors plus à la montée d'une volée de
marches (ponctuations) suivie de long corridors (stases), qu'à
l'ascension continue d'un plan incliné.
D'autre part, des bonds
en avant peuvent être provoqués par un changement climatique
brutal, une catastrophe écologique... Ainsi les dinosaures ont
disparu il y a soixante-cinq millions d'années au cours du crétacé.
Ils ont dominé la terre pendant cent millions d'années
et la domineraient probablement encore s'ils n'avaient pas été
anéantis et avec eux la moitié des espèces d'invertébrés
des hauts-fonds marins. Certains éléments réunis
depuis 1980 étayent l'hypothèse de l'impact d'un corps
céleste avec notre planète, qui aurait provoqué
cette extinction massive. Sans cette catastrophe, il est probable que
les mammifères ne seraient encore aujourd'hui que de petites
créatures insignifiantes et nous ne serions pas là pour
en parler. La disparition des dinosaures a redirigé l'évolution
biologique dans une direction inattendue. Il semble que cinq extinctions
massives de même type soient ainsi survenues au cours de l'histoire
du vivant. Ces cataclysmes ont contribué, sans aucun doute, au
caractère discontinu et imprévisible de l'évolution.
Exprimé autrement, c'est le hasard que Stephen Jay Gould fait
ainsi intervenir.
L'humain, a dit Gould, est un "accident de l'évolution". Les
créationnistes s'en donnent depuis à coeur joie: les "savants",
disent-ils, prétendent que l'évolution est le fruit du
hasard, ce qui est impensable, ajoutent-ils aussitôt, quand on
considère la complexité de la nature et son merveilleux
équilibre. Or, tout ce que Gould a dit, c'est que, parmi les
milliards de chemins qu'aurait pu suivre l'évolution -qui auraient
tout aussi bien pu aboutir à une créature dotée
d'intelligence- le chemin qu'elle a suivi, le nôtre, relevait,
lui, du hasard.
La théorie des
équilibres ponctués dans la lignée de l'homme ?
La lignée des ancêtres
de l'homme a, de longue date, été considérée
comme l'exemple même de l'évolution graduelle. Ainsi, des
australopithèques à Homo habilis, puis à H. erectus,
puis à H. sapiens, un caractère clé comme la capacité
crânienne n'a fait que croître régulièrement.
De 450 cm3 chez les australopithèques, elle est passée
à 700 cm3 chez H. habilis, puis à 1000 cm3 chez H. erectus,
pour atteindre 1350 cm3 chez H. sapiens. En fait, ces chiffres sont
des moyennes, et on peut trouver, par exemple, chez une espèce
telle que H. erectus des spécimens dont le volume cérébral
est de 850 cm3 et d'autres dont le volume cérébral est
de 1200 cm3.
Or, d'après les partisans de l'évolution graduelle, les
spécimens de H. erectus dont la capacité cérébrale
est de l'ordre de 850cm3 se situent dans les premiers temps de l'apparition
de cette espèce (c'est-à-dire vers -1500 000 ans), tandis
que les spécimens dont la capacité cérébrale
est voisine de 1200 cm3 se situent dans les derniers temps de l'existence
de cette espèce (vers -500 000 ans). Autrement dit, selon les
partisans de l'évolution graduelle, la tendance à l'augmentation
de la capacité cérébrale qui s'observe dans le
passage de l'espèce ancestrale H. erectus à l'espèce
descendante H. sapiens peut également se voir dans l'évolution
des populations au sein de l'espèce H. erectus, au cours de la
période durant laquelle elle a existé. En fait, comme
nous l'avons vu, la doctrine néodarwinienne soutient que l'une
n'est que le prolongement de l'autre, et c'est pourquoi la lignée
des ancêtres de l'homme a toujours été considérée
comme l'exemple archétypal de l'évolution graduelle.
En 1994, , Donald C. Johanson, a apporté la théorie des
équilibres ponctués chez l'une des espèces de l'arbre
généalogique des ancêtres de l'homme à laquelle
appartenait Lucy, Australopithecus afarensis. Dans les années
1970, les restes fossiles clairement rapportés à cette
espèce s'échelonnaient entre -3,4 et -3,18 millions d'années.
En Ethiopie (lieu où A. afarensis a été le plus
abondant), les fouilles paléontologiques ont permis à
Johanson, et à ses collègues, W. H. Kimbel et Y. Rak,
de découvrir de nouveaux exemplaires de A. afarensis datant de
-3,9 millions à -3 millions d'années. Et surtout, ces
nouvelles découvertes ont permis à ces auteurs d'affirmer
que les principaux caractères anatomiques de cette espèce
étaient restés inchangés durant tout ce temps.
Autrement dit, selon leurs propres termes, Australopithecus afarensis
avait connu une stase évolutive de près d'un million d'années.
"J'ai été enchanté par les déductions
théoriques qu'ont tiré ces auteurs de leurs nouvelles
découvertes", a déclaré à ce sujet
Stephen J. Gould.
Actuellement néodarwinisme
et théorie des équilibres ponctués coexistent,
et selon les périodes, les espèces, les lieux, l'évolution
serait graduelle (ex : les taupes) ou aurait suivi le schéma
des équilibres ponctués (ex : des crustacés).